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Textes des Conférences

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Textes des Conférences

Séance Inaugurale

M. GODONOU M. GODONOU
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
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 Irène ORÈS, membre de la Représentation du B’nai B’rith auprès de l’UNESCO, organisatrice du Colloque
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL 
ORES Irène Pourquoi suis-je aujourd’hui devant vous pour vous proposer un programme de deux jours au cours desquels seront examinés les aspects essentiels de ce que je considère comme la renaissance du Yiddish ?
Très simplement parce que j’aime le Yiddish !
Parce que cette langue chatoyante, imagée, nuancée, pleine de saveur – de « Tam » – et d’humour, j’ai besoin de la voir, de l’entendre vivre son destin, de la voir évoluer, se développer dans la continuité, de l’entendre dans sa nouvelle fraicheur.
Parce que je n’aimerais pas devoir compter la langue de mes ancêtres parmi les langues qui furent et ne sont plus.
Parce qu’il me semble que la pensée qu’exprime la langue Yiddish dans la sphère culturelle plonge ses sources dans le Talmud plutôt que dans le cartésianisme et que cette forme de pensée constitue, dans notre monde actuel, un regard nouveau, une voie originale.
***
Je l’ai déjà dit : ma volonté de concevoir un colloque centré sur la renaissance, sur l’avenir du Yiddish est née d’une publication éditée par l’UNESCO.
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Que cette publication ait mentionné que le Yiddish était en voie de disparition, était pour moi quelque chose d’inconcevable, d’intolérable même.
Intolérable, pourquoi ?
Parce que cette langue et cette culture ont failli nous être volées de manière criminelle, parce que des assassins ont voulu éradiquer ceux qui portaient cette langue et cette culture, et qu’accepter ce verdict c’était, pour moi, faire mourir une seconde fois les victimes de la Shoah, les locuteurs du Yiddish.
Et cela, je ne le voulais pas ; il s’agissait d’une révolte de tout mon être, de la volonté de réparer une injustice, si tant est qu’une réparation soit possible. : je voulais reconstruire quelque chose, reconstruire ce qui pouvait encore être reconstruit après la Shoah, avec toute mon énergie – et il m’en reste encore !-, avec toute ma volonté, peut-être pas avec toute ma raison car le parcours du combattant qui a été le mien pour parvenir à l’ouverture de ce Colloque m’a prouvé qu’il ne faut pas être très raisonnable pour entreprendre une telle aventure et la mener à bien !
C’est pourquoi je voudrais exprimer toute ma reconnaissance à son Excellence Monsieur l’Ambassadeur d’Israël auprès de l’UNESCO, Nimrod BARKAN, et à son Excellence Monsieur l’Ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’UNESCO, David KILLION, qui ont aidé la Représentation du B’nai B’rith auprès de l’UNESCO, à un moment particulièrement difficile, à réintégrer la Maison de l’UNESCO ; nous avons pu, alors, compter sur leur soutien moral, sur leur soutien financier aussi.
L’amitié qu’ils nous ont manifestée par leur détermination à faire en sorte que ce Colloque ait lieu, et qu’il ait lieu à l’UNESCO, a été pour nous un encouragement à persister dans notre engagement et dans notre volonté de réaliser ce Colloque.

Je tiens également à exprimer mes remerciements les plus vifs à Madame la Directrice générale de l’UNESCO, Irina BOKOVA, qui a accueilli l’idée de ce Colloque avec un grand enthousiasme et lui a offert une hospitalité généreuse qui ne s’est pas démentie malgré les obstacles dont a été semée l’organisation de notre Colloque.
***
Notre principal interlocuteur dans cette Maison , dont j’ai admiré, pendant les longs mois de gestation du Colloque, la patience, le sens diplomatique, l’aptitude à trouver des solutions, a été Monsieur Mauro ROSI, que je ne remercierai probablement jamais assez pour la coopération qu’il nous a apportée pour la mise sur pied de notre Colloque. Inlassablement, il a été à nos côtés et je salue du fond du coeur sa contribution à l’organisation de ce Colloque
***
J’en arrive à présent au contenu de notre Colloque « Permanence du Yiddish ».
Lorsque j’ai conçu l’idée de ce Colloque, je m’en suis ouverte à Monsieur Yitzkhok NIBORSKI, Maître de Conférences à l’INALCO et vice-président de la Maison de la culture yiddish - Bibliothèque Medem, dont la haute compétence et le savoir encyclopédique dans le domaine du Yiddish et de sa culture, faisaient et font mon admiration.
Quelque peu interloqué par le caractère ambitieux de l’idée que je lui exposais, il y a néanmoins adhéré, et c’est ainsi que Yitzkhok NIBORSKI et Gilles ROZIER, Directeur de la bibliothèque de la Maison de la culture yiddish, ont accepté d’être les conseillers scientifiques du Colloque.

Comme je vous l’ai dit il y a quelques instants, je tenais à démontrer la vitalité retrouvée de la langue yiddish et de sa culture, et c’est ce que reflètent les cinq tables-rondes qui vous sont proposées et qui vous seront présentées par Yitzkhok NIBORSKI.
Mais avant ces tables-rondes, une grande dame à laquelle le Yiddish doit beaucoup, une grande dame qui a ouvert les portes de l’université au Yiddish, qui a oeuvré pour assurer une meilleure diffusion aux livres traduits du Yiddish, Madame Rachel ERTEL, vous exposera ce que lui a inspiré le titre de notre Colloque « Permanence du Yiddish ». Je lui suis reconnaissante d’avoir bien voulu apporter à ce Colloque ce qui est pour moi une caution.
***
Lors de l’élaboration du programme de ce Colloque avec nos conseillers scientifiques, nous avons voulu montrer que la nouvelle vie du Yiddish se manifeste partout où il y a une vie juive.
Mais il est vrai qu’une vie juive s’est développée, après la Shoah, en des points du globe non seulement fort éloignés les uns des autres, mais parfois inattendus pour diverses raisons historiques.
C’est pourquoi les conférenciers qui ont accepté de participer aux tables-rondes qui vous sont proposées viennent d’horizons géographiques aussi divers qu’Israël, les Etats-Unis, l’Angleterre, la Pologne, l’Allemagne, l’Australie et, bien entendu, la France.
Ces choix géographiques sont en réalité exemplaires, car la renaissance du Yiddish y est apparue et s’y est développée majoritairement autour de chaires universitaires et ce sont les titulaires de ces chaires qui sont en quelque sorte « descendus dans la rue juive » et ont suscité un intérêt croissant auprès de yiddishophones ou de descendants de yiddishophones, à la fois pour la riche culture yiddish antérieure à la Shoah qui ne demandait qu’à revivre, et pour une forme nouvelle du Yiddish et de sa culture, dont ils sont les porteurs et les interprètes.
Peut-être m’objectera-t-on qu’il y a quelque chose d’artificiel dans un tel processus « descendant », mais comment faire revivre une langue et une culture dont la majorité des locuteurs ont disparu par la violence, autrement que « par le haut » ?
Nous avons donc également voulu montrer, lors de l’élaboration du programme de notre Colloque, que précisément, les détenteurs du savoir yiddish, tout universitaires qu’ils sont, ont cherché à sortir de leur « tour d’ivoire », à essaimer leur savoir, à le mettre à la portée de ceux qui, à la recherche de leurs racines, sont désireux de renouer avec elles.
Je tiens à remercier les conférenciers, nombreux puisque représentant, chacun, une facette du renouveau de la culture yiddish, du professionnalisme et du sérieux de leurs interventions qui sont néanmoins très accessibles à tous, de l’amour qu’ils portent au renouveau de notre culture et de leur souci de démontrer que la culture yiddish continue à ensemencer la culture universelle.
Ce Colloque a pour objectif d’instaurer entre les conférenciers et vous, public, un lien, une empathie, et de vous donner une impulsion et l’envie d’aller plus loin dans la connaissance du nouveau visage du Yiddish, dans la continuité de ce qui fut.

Et si, grâce à cette impulsion, le Yiddish reprenait une place dans la vie de tous les jours, redevenait une langue quotidienne ? Comment y parvenir ? Peut-être par une large diffusion de son enseignement dès l’enfance. Peut-être alors faut-il s’en donner les moyens.
***
J’ai inversé le plan habituel des allocutions d’ouverture d’un Colloque, car il est d’usage de commencer par des remerciements adressés aux personnalités qui ont bien voulu honorer cet événement – que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’ « historique »- de leur présence ; par des remerciements adressés aux généreux donateurs grâce auxquels le Colloque a pu avoir lieu.
Pardonnez-moi de le faire en conclusion de mon allocution, car je pense que cette partie de celle-ci en constitue le bouquet final !
Mes remerciements vont tout d’abord à leurs Excellences, Messieurs les Ambassadeurs auprès de l’UNESCO, Nimrod BARKAN, représentant d’Israël, et David KILLION, représentant des Etats-Unis.
A Monsieur le Grand Rabbin, René-Samuel SIRAT, ancien Grand Rabbin de France, fondateur et directeur de la chaire de Connaissance réciproque des Religions du Livre et de L’Enseignement de la Paix à l’UNESCO, et qui est à l’origine de la chaire de Yiddish à l’INALCO,
A Monsieur Samuel PISAR, Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO pour l’enseignement de la Shoah.

A son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de France auprès de l’UNESCO, Daniel RONDEAU,
A Madame Graziella SAMUELS, qui fut conseiller d’un ancien Président de l’UNESCO, monsieur Federico MAYOR,
A Monsieur Richard PRASQUIER, Président du CRIF, qui nous a fait en outre l’amitié de soutenir notre Colloque,
A Madame Evelyne BERDUGO, Présidente de la Coopération féminine,
A Madame Joëlle LEZMY, Présidente de la WIZO,
A Monsieur MALTHETE qui représente la bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle,
A Monsieur Léopold BRAUSTEIN, Président du centre Medem pour le Yiddish,
A Monsieur FUCHS, représentant du Cercle Bernard Lazare
Je tiens également à remercier les représentants d’Institutions qui, par leur présence, montrent tout l’intérêt qu’ils manifestent aussi bien à titre personnel qu’au nom de leurs institutions, pour la renaissance du Yiddish.
J’espère n’oublier personne et si c’est le cas, encore une fois je sollicite votre pardon !
Mes remerciements chaleureux et amicaux vont également à nos donateurs, et notamment à ceux qui ont accepté d’être nommés :
Messieurs les Ambassadeurs des Etats-Unis et d’Israël auprès de l’UNESCO,

la Fondation Eli et Edythe Broad,
Monsieur et Madame Henri BORET,
Monsieur Jo DOMBERGER, Président d’Honneur du B’nai B’rith européen, qui fut mon Président lorsque j’étais membre de l’Exécutif européen,
La Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
Monsieur Steve SAMPSON,
Mes amis
Suzy et Norman OBLON,
Herbert HARRIS
Eugène EISENBERGER
Jeaninne COUPERT
Martine PIEKARZ
Michel LEVY.
Remercie-t-on les membres de sa famille d’être à vos côtés lorsqu’on a besoin d’eux ? Je pense que c’est non seulement un devoir, mais aussi une marque d’affection. Ces remerciements vont donc au B’nai B’rith dans son ensemble, et notamment à Monsieur Dan MARIASCHIN, vice-Président exécutif du B’nai B’rith International, qui nous a fait l’amitié d’être présent à notre Colloque et de le soutenir,
A André NADJAR, ancien Président du B’nai B’rith France,
Et à Serge DAHAN, son Président actuel,
Ainsi qu’à Ralph HOFMANN, Président du B’nai B’rith Europe.
Merci aussi aux loges du B’nai B’rith France qui ont eu à coeur d’être à nos côtés pour nous faciliter la tâche : les loges FRANCE, JANUSZ KORCZAK, KADIMA-MAÏMONIDE, KINNERETH , LÉON BLUM, MARINETTE ARTMANN , TSEDEK et VERSAILLES, complétant ainsi les apports du B’nai B’rith France et de sa Fondation animée par Monsieur Alain GONZVA.
***
Les chefs d’orchestre ont coutume de faire lever à la fin d’un morceau les exécutants qui se sont particulièrement illustrés. Ainsi vais-je faire, en tant que chef d’orchestre, en demandant aux membres de mon comité d’organisation de se lever !
***
Merci à tous nos donateurs, du fond du coeur, car sans leurs contributions, ce Colloque n’aurait pas pu avoir lieu !
Je remercie tous les participants qui ont manifesté leur intérêt pour notre Colloque, en s’inscrivant aux deux journées de celui-ci que je souhaite très fructueuses et enrichissantes pour eux.
Je souhaite enfin que ce Colloque constitue un élément fédérateur autour duquel toutes les forces vives qui oeuvrent en faveur du Yiddish s’unissent.

Je déclare à présent le Colloque « Permanence du Yiddish » ouvert !

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Irina BOKOVA Irina BOKOVA, Directrice Générale de l’UNESCO, discours vidéo -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
BOKOVA IrinaExcellencies, Ladies and Gentlemen,
It is a pleasure to welcome you to this symposium on the Permanence of Yiddish.
I wish to congratulate B’nai B’rith and la Maison de la Culture yiddish-Bibliothèque Medem in Paris for this initiative.
Languages have a special place in UNESCO’s mandate.
More than a means of communication, each language is a wellspring for identity and the means by which we relate to our environment.
They are sources of both continuity and innovation – essential for expression, for education and participation in cultural life, for all scientific progress.
Video message from Ms Irina Bokova, Director-General of UNESCO on the occasion of on the occasion of the Symposium “Permanence of the Symposium“ UNESCO 12 November
These ideas guide all our work to protect languages as components of cultural diversity, and this is why I am pleased this symposium is held under the patronage of UNESCO.
Originating in the Ashkenazi culture of the 10th century, Yiddish stands at the heart of Judaism’s unique social and cultural identity and history in Europe.
Its survival was threatened by the Holocaust, and Yiddish is listed today on UNESCO’s Atlas of Endangered Languages.
But the vibrancy of this language can never be in doubt.
This includes the millions of women and men who consider themselves heirs of Yiddish culture and language, even if they do not speak it.
Yiddish remains a language that is being taught and learnt, a language of everyday – thanks to writers, whose numbers are growing, thanks also to a dynamic music scene.
The digital era is amplifying the reach of contemporary Yiddish cultural expressions and renewing ties between communities across the world.
In this spirit, allow me to cite the lines of a poem from the Warsaw ghetto, written in Yiddish by Katsenelson:
For not lost is the hope of a tree, even when already cut and felled it grows again and blooms without an end—
This is positive -- but we must remain vigilant, because languages are fragile.
UNESCO will continue to support linguistic diversity and Yiddish as part of humanity’s cultural diversity.
Let me congratulate once again the organizers of this timely initiative -- B'nai B'rith has been a strong partner with UNESCO since 1966, and this event reaffirms our partnership.
I thank you all for your engagement.
Ikh wunsch a lang leben der yiddischer shprakh un der yissischer kultur!
Irina Bokova

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 Nimrod BARKAN, Ambassadeur, Délégué permanent d’Israël auprès de l’UNESCO -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL 
BARKAN NimrodGood morning ladies and gentlemen,
The Yiddish conference starting today is, beyond being a wonderful moment in itself, also part of the overall revival of the Yiddish culture.
For many years Yiddish seemed to have been a language in danger.
The language seemed to have been doomed to remain one of a sect - the Haredim (ultra orthodox), and thus an anathema for many secular Israelis and an enigma to many secular Jews around the world.
It seemed that Yiddish language and culture will not be able to withstand the assault of various historical forces as:
- The destruction of the Yiddish society in the Shoah.
- The rise of Hebrew as the language of the new Jew and the struggle to replace Yiddish with Hebrew as part of the shedding of the Galut.
- The passing away of the Yiddish speaking generation in the western world and the anti Jewish policies of the Soviet Union.
Still, in the last several years Yiddish is coming back:
- The number of Yiddish students in Israel is rising
- Yiddish theatre with Hebrew subtitles is flourishing in Israel and its founder Shmuel Atzmon is with us here today.
- New translation from Yiddish to Hebrew and to English of shalom Aleichem and others are awakening younger people in Israel to the world of the Yiddish.
Thus for me the conference today, and I thank B’nai-B’rith for working so hard to arrange it, is part of this growing movement.
We in the embassy of Israel to UNESCO strongly believe that the best way to fulfill the will of the martyrs and the survivors of the Shoah is to recreate their vanished world as much as possible.
We commemorate them every year in ceremonies, but making sure their world is alive is for me even more significant - the evil wishes of the Nazis will fail by resuscitating the world they thought they destroy.
Our support for having the conference in the UNESCO building is not coincidental.
The enemies of the Jewish people and Israel are trying to hijack this organization from its lofty ideals and make it an anti Israeli propaganda tool singling out Israel and concurrently ignoring
all of their own outrageous violation of UNESCO’s values.
Many are aghast at this and are trying to prevent it. I hope they will succeed.
Our support for having this conference in UNESCO is part of our message to those who are fighting against the destruction of UNESCO. We believe there is hope for the fight and are eager
for it to succeed it may not be easy but it’s extremely important-don’t give it up!!
I wish to conclude on a personal note; I grew up in a home torn between the desire to rebuild Hebrew as the language of Zionism while being thoroughly part of the Yiddish world. Thus
when I speak or write Hebrew today than, like my mother and grandmother, I use many many Yiddish idioms as part of my every day speaking and writing.
For me it is an integral part of my soul as much as the reading many of shalom Aleichem books -
alas in Hebrew in the older and new translation.
I belong, heart and soul, to the world of Teveye the milkman and Motil Son Peissy who is familiar to many from fiddler on the roof.
We are all committed that the Shtetel world it’s culture, humor, realism and sadness will remain with us forever. Thank you for organizing this conference.
Nimrod BARKAN, Israeli Ambassador to UNESCO
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David KILLION David KILLION, Ambassadeur, Délégué permanent des Etats-Unis auprès de l’UNESCO -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL 
KILLION David Remarks by U.S. Ambassador to UNESCO David Killion November 12, 2012 Ambassador Barkan, President Hofmann, President Dahan, my dear friend, Dan Mariaschin, Mr. Zyss, Madame Ores, Colleagues, friends of UNESCO, Good morning ! Let’s talk about Yiddish. Amazing things happen in Yiddish! I read a story in the New York Times just last week about a young man known as the “Lox Sherpa” – a Nepalese immigrant who used to climb Mount Everest for a living, and who now works at a delicatessen in Manhattan called “Russ and Daughters.” The owner of the deli says Mr. Sherpa – his real name - speaks Yiddish with his customers, asking, “Boychik, what do you want?” Who could imagine that a young man from the mountains of Nepal would end up slicing lox so thin you can read a newspaper through it while asking customers if they want a “bissel” of cream cheese or just a light “schmear” on their bagels!…Only in New York…Only in America!…Only in Yiddish! Ladies and gentlemen, I am so honored to be here with you this morning for the opening of this Symposium on the “Permanence of Yiddish.” Language is the verbal expression of culture that sustains cultural identity and transmits a community’s heritage from one generation to another. It is both the expression of our thoughts and our values. Yiddish is a remarkable language that represents a remarkable culture. It is a global celebration of Jewish culture and history in the form of a living language. UNESCO’s support of this event is very important, and the United States is equally proud to join with the Delegation of Israel, B’nai B’rith, and the many other supporters and partners in making this symposium a reality. The United States has a vibrant and active Jewish community, and Yiddish is an important element of that community. In the 19th century, Yiddish played a central role in forging bonds between Jewish immigrants of different backgrounds. Still today, for nearly 200,000 Americans, Yiddish is the daily language spoken in their homes. Yiddish-language newspapers are published both in print and online. Meanwhile, a number of major universities, including John Hopkins and Emory University in Atlanta, are teaching Yiddish to a new generation of students eager to tap into the amazing cultural heritage this language represents. But the influence of Yiddish in the United States is felt way beyond the community of Yiddish speakers, and Yiddish words have become a part of every American’s vocabulary. It is very appropriate for this symposium to be hosted in conjunction with B’nai B’rith here at UNESCO House. UNESCO has been at the forefront of important work, including promoting respect for language and culture, Holocaust remembrance education, countering Holocaust deniers, and in sharing the terrible lessons of the Nazi genocide so that other groups may learn and, hopefully, avoid the same fate both today and tomorrow.
The values that B’nai B’rith promotes, since its inception 170 years ago, are shared by UNESCO.
B’nai B’rith has been an important NGO partner of this organization since the early 1960’s, and has, from its start, been focused on advancing human rights, combating anti-Semitism and developing and protecting Jewish identity, culture, and heritage.
Today, UNESCO is celebrating Israeli and Jewish culture in hosting these two days of discovery and discussion about the rich Yiddish language. UNESCO’s work in protecting culture and heritage ranges from maternal languages to World Heritage sites.
As many of you may know, seven of UNESCO’s World Heritage sites are located in Israel, including the Carmel Caves, which were just inscribed on the World Heritage List last July in St. Petersburg.
This also is a celebration of Jewish culture and history.
However, in order for language and heritage to be protected, culture must not be politicized. The United States has worked consistently with Israel and friends to block attempts to subvert UNESCO’s mission and use the agency as a vehicle to delegitimize Israel through politicized resolutions on the Middle East.
We applaud the strong stand against politicized resolutions at UNESCO’s Executive Board last month by countries such as Russia, China, and Brazil, who joined with the U.S. to block passage of five such resolutions.
I can promise you that, just as we will continue to work to integrate programs and events like this one today in support of Yiddish, celebrating Jewish identity and heritage, the United States will also
work on the political side of things at the United Nations and here at UNESCO to protect our shared values and interests.
In closing, let me once again congratulate UNESCO for hosting this wonderful symposium on a language that has endured, flourished, and helped sustain Jewish heritage and build bridges from Jerusalem to Minsk to Nepal to New York’s Lower East Side. Thank you.
http://unesco.usmission.gov/yiddish-symposium.html
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 David KILLIONDan MARIASCHIN, Vice-président exécutif du B’nai B’rith International -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL 
Daniel Mariaschin Remarks by Daniel Mariaschin
As I thought about what I would like to say to you today, I pondered the miraculous survival of Yiddish, and looming large during any discussion on the subject is the question that I asked myself: why is that which should have disappeared now thriving? True enough, the mother tongue of untold generations is now celebrated by an exclusive coterie, but one committed to its re-generation, into a world where we all live. Young Jewish people worldwide actively desire to learn it, and often go on to study it in college. Integral to their sense of self, a growing number become accomplished speakers and writers of the language. Most significantly, they intend to ensure that their children will do the same.
I was fortunate; I associate Yiddish speaking with the memories of my own childhood. My parents used it only in our house, and this exotic language distinguished us. I remember their Yiddish papers arriving at our door from out of town. Hearing it or seeing it on the printed page invokes nostalgia for that time and place, and colors the feelings I have for my parents.
Treasured for its musicality, and its unparalleled emotional range, honored as a legacy of a precious, lost, world, Yiddish distills that world for us, a link to its milieu, its people, and the tragedy of their destruction. I am sure that many who have achieved a connection with Yiddish feel that they are doing their part to honor the past, and to perhaps experience an aspect of it. But speaking, reading and writing this language, interacting in it, is something that we do for the future as well. The more this happens, the more Yiddish will resonate in our modern consciousness. Defying its own history, Yiddish did not ossify; it continues to draw breathe from those who want to give if life, and to become an expressive reflection of our own experience.
Interesting factoid which you may want to insert:
Entering the word “Yiddish” in the Bing search engine to check the extent of interest in Yiddish presents some 37,300,000 million hits. This is tangible evidence that Yiddish is embedded in the real world and testifies to the widespread interest in Yiddish today.
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Yiddish Daniel Mariaschin Yiddish AFILE NOCH ALE “AFILES’ YIDDISH LEBT!
Remarks by Daniel Mariaschin
A dank far ainladenen mich tzu der haintiker conferentz. Gut tzu bzen tzwiushen aich a tzul younge mentshen –keinehore… Ihr alle dermonen mich of Yud Lamed Peretz: BONTCHE SHWEIG. Altz wos er hot farlangt iz geven; A zeml mit butter, altz wos her hot gebetn iz genen: Lolzt mich lebn in menuche.
Anshtod ‘A Zeml mit butter’ iz er farmichpet gevorn tzu dershtikt tzu vern in gaz-camern, krematories un massn-morden fur die Nazis un zaiure Helfers in Europishe lender. Zeks million Yidn, a Million-un-a-halb Yiddishe kinder hobn nisht derlebt tzu farvirklechen Zaire troimem, chaloymes vegn esn/bimnuche zayer ‘zeml-mit-butter’. Peretz’s, Bialer Rebbe un Brisker Ruv hobn nisht bavizen tzu endikn zayere diskusies vegn, Netzach Yisroel’, Vegn: Eibikn Shabes, Émeser Sholem far di welt, ven die Deitshe Okupanten hobn zai umgebrengt, tzuzamen mit Zaire talmídim fun alle schichtn, Rabonim, Lerer, un gelernte. Yiddishe Shraiber in Soviet Russland zenen dermordet-gevorn in der Lubianka Tfise’ in Moskve, Yiddishe shulen zenen geshlosengevorn… Ober, mir hobn ib ergelebt Hitler un Stalin. Ich fur iber die velt un her Yiddish redn tzwishn ‘Chorben Ge atevete’ un, Oich twishn dem youngen dor. Ich hob gehert Yiddish redn fun yunge gelernte in “Yivo” in Buenos Aires, in “Hebraika” in Brazil un in Urugway, in Mexico. Yiddishe tzaitschriftn dersha nen in fiel lender, in alle welt-tailen. Efnt-off di najeste/ verter-bicher, Encyclopedias Universitetn-Dictionaires un ir vet gefunen a groise tzul Yiddish verter aingeshlosn in alle welt schpachen.
Yiddish, vi der Brisker Rov un Bialer Rebbe, vi di Yiddishe Schreiber un gelernte, Zenen oifgeshtanen: “Tchiyas Hameisim” : Men Lernt Yiddish in a sach Universitétn. A er unveznhait hant, do bay die konferentz iz a simen fun NETZACH YISROEL…
Trotz die assimilacie fun yungen dor, zehen mir an oiflebung fun Yiddidh lubn, Yiddish Teather-kre zen, Yiddish chorn un Koncertn in die gantze welt. Main Hartzikn dank far ainladen mich thu der haintiker konferentz. Ich vuntsh aich elle derfolg in gain forois mit dem gaistikn “oytzer Yiddish” mit nayer energie, akshones.

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 M. HOFFMANRalph HOFMANN, Président du B’nai B’rith Europe -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
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 Serge DAHAN Serge DAHAN, Président du B’nai B’rith France -
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
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 Yitzkhok NIBORSKI Yitzkhok NIBORSKI, maître de conférences à l’INALCO, vice-président de la Maison de la culture yiddish
Crédit Photo : Michel FINGERHUT







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 ERTEL Rachel Rachel ERTEL, professeur émérite des universités, auteur de nombreux travaux sur la littérature yiddish, pionnière des études yiddish à l’université française, traductrice et directrice de collections, président d’honneur de la Maison de la culture yiddish
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
Rachel ERTELRachel Ertel
La permanence du yiddish : introduction au colloque de l’UNESCO
Lorsqu’on m’a proposé de participer à un colloque sur la « permanence du yiddish »,
je me suis tout bêtement tournée vers mon dictionnaire. La notion de permanence et sa définition, celle du dictionnaire, est la suivante : « caractère de ce qui est durable », de « ce qui dure, demeure, sans discontinuer ni changer ». Est-ce là le cas des langues ? Est-ce là le cas des cultures ? Les langues et les cultures «qui durent, qui demeurent, sans discontinuer ni changer », deviennent vite des langues et des cultures mortes. Il faut donc pour être permanent ne cesser de changer, se transformer. La réalité de la permanence est un flux constant , la seule permanence est la fluidité, la transformation, la métamorphose, l’ubiquitaire, le polysémique, la mutation, le polymorphe .
Jusqu’à la fin du XIX e siècle, et pour certains même pendant une partie du XXe nous vivions dans l’illusion du progrès illimité de l’humanité. La technologie avance plus vite que jamais, mais le progrès n’est plus crédible. L’humanité toute entière a perdu la face et l’Histoire continue à nous montrer que loin de la retrouver , elle ne fait que la bafouer et l’abolir de jour en jour.
Nous vivions dans des dimensions à échelle humaine, des familles, des régions, des Etats-Nations. Nous vivons à l’échelle planétaire. Autant dire nulle part.
Nous vivions dans l’illusion d’un axe du temps unilatéral qui nous menait vers des lendemains qui chantent. Pour certains la rédemption était accomplie. Mais les faits les ont démentis. D’autres attendent encore une rédemption qui semble de plus en plus hypothétique, si nous nous en tenons aux faits historiques, aux guerres, aux massacres, de plus en plus industriels, de plus en plus scientifiques. La science que l’on croyait la panacée universelle a dévoilé sa face d’ombre.
Nous avons perdu notre innocence. Pour ma génération l’univers entier est à repenser.
Les mots ont perdu ou changé de sens. Nous vivons dans « le désenchantement du monde. »
Et tout est à repenser. A commencer : redonner un visage à l’homme. A repenser la centralité anthropomorphe. A retrouver le sens des mots, les dimensions dans lesquelles l’être humain
évolue, les espaces de vie.
Pour pouvoir vivre, le repenser non pas en termes de mondialisation, de globalisation, mais d’une proximité qu’aucun internet, le plus sophistiqué ne peut supplanter. Repenser le
temps. Le temps, non plus comme un axe unilatéral, ni comme un cycle toujours recommencé.
Le temps avance et recule par bonds, il oscille , il va et vient, il tangue, il bafouille, il bégaie.
Il faut peut-être repenser notre monde non plus par sa centralité, mais comme disait Richard Marienstras, par les marges.
Repenser de fond en comble la notion, nous dire que la permanence est mortifère, que la véritable dimension de la permanence c’est le mouvement., c’est le changement, c’est la
transformation.
Alors nous pourrons repenser la permanence dans ses multiples dimensions :
linguistique, historique, culturelle, identitaire, transmissible, c’est-à-dire dans la vie avec tous ses aléas.
Et puisque nous sommes là pour parler de « la permanence » du yiddish, commençons par sa dimension linguistique. Contrairement à ce que disait Kafka, ce n’est pas la plus jeune des langues. Elle est née , il y a plus de mille ans dans la vallée rhénane, en même temps à peu près que les autres langues européennes. Mais là où Kafka a raison c’est qu’étant donné la mobilité de ses locuteurs, sa permanence a été son changement perpétuel.
« Il ne se compose que de vocables étrangers, mais ceux-ci ne sont pas immobiles au sein de la langue, ils conservent la vivacité et la hâte avec laquelle ils furent dérobés. Des migrations de peuples traversent le yiddish de bout en bout. Tout cet allemand, tout cet hébreu, ce français, cet anglais, ce slave, ce hollandais, ce roumain et même ce latin est gagné à l’intérieur du yiddish par la curiosité et l’insouciance. Il faut … pas mal de force pour maintenir des langues en cet état ».(384, VII)
Que nous dit là Kafka, c’est que la permanence du yiddish, ce fut sa capacité à transmuer tout ce lexique, toute cette syntaxe, en une entité spécifique, singulière, unique. Et qui dit langue spécifique dit pensée spécifique. Car, s’il est vrai, comme l’écrit Walter Benjamin que « les langues ne sont pas étrangères l’une à l’autre mais (…) sont apparentées en ce qu’elles veulent dire », il n’en reste pas moins que la langue façonne la pensée, tout comme la pensée façonne la langue. Le Yiddish, langue marginale, formée par le peuple juif ashkénaze, par définition peuple diasporique, mais aussi peuple porteur d’une culture plusieurs fois millénaires, par ses Ecrits anciens qui comportaient l’hébreu et l’araméen, ne pouvait que fondre dans ce creuset unique tous ces apports innombrables.
Dans l’Histoire que nous vivons maintenant, la marginalité a remplacé la centralité. Si le peuple juif pendant longtemps a été par son caractère diasporique exceptionnel, cette exceptionnalité est devenue la centralité du monde contemporain. Les guerres de plus en plus meurtrières, les changements climatiques qui provoquent famines et misère économique, imposent à des populations de plus en plus nombreuses une existence diasporique. Ces populations seront de plus en plus souvent amenées à des langues de fusion. Si je déplore les guerres et la misère, je suis loin de déplorer le métissage et la bâtardise, fondement même de la langue yiddish, qui peu à peu deviendra le paradigme de langues de plus en plus nombreuses. Car la vie est dans la mutabilité, sa permanence est dans la mutabilité.
La permanence du yiddish est liée à sa dimension à la fois historique et géographique.
Le parcours du Proche Orient, les séjours sur les Rives de Babylone, dans l’Egypte hellénisée, dans l’empire romain, dans tout le bassin méditerranéen, la remontée avec les armées romaines vers le Nord, le commerce le long des fleuves européens et des villes hanséatiques, le déplacement vers les pays slaves, à la suite malheureusement des persécutions et de la peste noire de 1347, mais aussi de la nécessité de développer une bourgeoisie dans ces contrées, ont donné à la fois une flexibilité et une permanence à la langue que les Juifs n’ont cessé d’emporter aux semelles de leurs chaussures.
Les érudits ont classé le yiddish, en diverses périodes, comme l’ont été toutes les langues : la naissance du yiddish jusqu’en 1250, le yiddish ancien de 1250-1500, le yiddish moyen de 1500-1700, et le yiddish moderne à partir de 1700, qui lui-même a continué à se transformer, pour des raisons historiques et géographiques, preuve de sa permanence.
Tout au long de ces siècles des créations culturelles n’ont cessé de naître dans cette langue : à commencer par les traductions des Textes Sacrés agrémentés de commentaires bibliques. Avec la révolution de Guttenberg, les traductions à partir de toutes les langues européennes devinrent innombrables dans toutes les disciplines. Des oeuvres littéraires originales virent le jour, distribuées jusques aux lieux les plus reculés du royaume ashkénaze, comme le décrit Jean Baumgarten dans son remarquable ouvrage Le peuple des Livres. Des
purim-shpiln (pièces carnavalesques liées à la fête de Purim), des dits et épopées historiques, une littérature courtoise (poèmes et récits) inspirés de l’environnement mais adaptés à la judéité des troubadours et écrivains, des oeuvres édifiantes, le moussar, des oeuvres philosophiques avec la naissance des Lumières juives au XVIII siècle, des contes hassidiques, des pièces de théâtre satiriques, comiques, des drames, des tragédies…
A partir du milieu du XIXe siècle, on vit éclore une littérature en yiddish sur le mode occidental — russe, polonais, allemand, français, américain, — une littérature impétueuse, fougueuse , volcanique dans tous les genres, dont il est impossible d’énumérer ici les auteurs.
La presse prit des proportions exponentielles, presse locale, nationale, internationale. Les journaux politiques se multiplièrent. Cette création s’implanta dans tous les pays et sur tous les
continents, avec une circulation intense de l’un à l’autre , puisque la langue leur était commune. Cette effervescence dura tout au long de l’entre-guerre, d’autant que les écoles yiddish se multipliaient et alphabétisaient des couches de plus en plus larges de la population juive, artisanale et ouvrière pour la plupart, mais aussi autodidacte et avide de lectures et de connaissances.
Avec la naissance des modernismes futuristes, expressionnistes, dadaïstes, surréalistes, périodes des manifestes partout en Europe et aux Etats-Unis, les revues, almanachs, éditions individuelles en yiddish fleurirent, plus ou moins durables, plus ou moins éphémères comme partout. Mais avec les échanges ininterrompus d’un pays à un autre, la modernité yiddish devint l’écho sonore du monde, absorbant ce qui venait de chaque langue et qui passait par la sienne propre.
Ainsi un trésor inestimable se construisit capable de nourrir des générations entières de siècle en siècle.
La suite nous la connaissons tous. Le monde bascula dans la barbarie la plus absolue.

Sur quatorze millions de yiddishophones, six millions environ furent anéantis dans des conditions que je ne vais pas évoquer ici. Aucun peuple ne se relève d’un génocide. Les locuteurs exterminés, leur langue arrachée, le cosmopolitisme yiddish aboli .
De quelle autre langue pouvait-on dire qu’elle était morte, de mort soudaine et incontestable, au cours d’une décennie donnée, sur un bout de terre donnée ?
S’interroge Edelshtein , le personnage tragi-comique du « traducteur introuvable » de Cybthia Ozick (p.67)
Mais ce qui est anéanti ne peut être ressuscité.
Comme l’écrit Jacob Glatstein :
« Ci-gisent
tous ceux qui parlaient
tous ceux qui bégayaient
tous ceux qui se taisaient
ils sont tous rassemblés ici.
Même leur mortalité est éphémère.
Les épitaphes ne sont compréhensibles
Et claires
Que pour une génération d’amour.
Le deuil y dort dans un nid de serpent et lui aussi oublie oublie.(…)
Les jours
se lèvent comme des éternités sur les ossements.
Pour les enfants – souvenir
Pour les enfants des enfants- vague vestige
Incompréhensible inquiétante peur ».
Il ne fallait pas compter sur un Dieu aveugle qui avait « détourné sa face » pendant l’Anéantissement, un Dieu muet qui depuis Moïse ne parla plus jamais à son soi-disant peuple
élu, un dieu sourd qui n’entendit pas les cris des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants dans les chambres à gaz.
On ne pouvait plus compter que sur l’homme, sur le survivant, sur le revenant. Et cet homme là, contrairement à Dieu fit des miracles. Il changea le sens de la permanence du yiddish. Aussi macabre que cela puisse sonner à nos oreilles, le Khurbn donna naissance à une nouvelle littérature yiddish, à de nouveaux genres, entés dans la tradition, mais une tradition du blasphème et du sacrilège. qui portait en elle tout le deuil de l’extermination. Les écrivains, les poètes yiddish, ce furent désormais eux les faiseurs de miracles. Leur écriture fut pléthorique et littéralement renversante, changeant tous les canons de ce qui avait précédé.
Entre 1945 et 1980 environ plus de livres furent publiés en yiddish après le Khurbn que dans l’entre-deux-guerres. Les Yizker-bikher pour commémorer les assassinés et leurs lieux de vie furent composés à l’initiative d’hommes simples qui refusaient d’oublier, et qui pour cela faisaient appel aux historiens, aux écrivains, pour les parties introductives de ces oeuvres,évoquaient leurs souvenirs personnels, faisaient figurer les personnages les plus marquants du
lieu, génie ou simple d’esprit, et se terminaient par la description du khurbn. Des revues plus ou moins éphémères, des périodiques, des hebdomadaires, des quotidiens, des partis, des associations se fondèrent. Certains s’accrochèrent à la survie de cette culture, becs et ongles.
D’autres voulurent assurer l’avenir de leurs enfants, matériel et de survie et choisirent de renoncer au passé. Mais le passé est tenace et opiniâtre. Il pose son empreinte indélébile sur le survivant. Et bien avant le slogan absurde du « devoir de mémoire », la mémoire et l’oubli, deux faces d’une même pièce, jouèrent leur rôle, comme le montre ce conte hassidique raconté des centaines de fois. En voici le récit d’Elie Wiesel :
Lorsque le grand rabbi Baal Shem-Tov voyait qu’un malheur s’annonçait pour le peuple juif, il avait pour habitude d’aller se recueillir à un certain endroit de la forêt ;là, il allumait un feu, récitait une certaine prière et le miracle s’accomplissait, révoquant le malheur.
Plis tard, lorsque son disciple, le célèbre Maggid de Mezeritch, devait intervenir auprès du ciel pour les mêmes raisons, il se rendait au même endroit dans la forêt et disait : »Maître
de l’Univers, prête l’oreille . Je ne sais comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière. Et le miracle s’accomplissait.
Plus tard, le Rabbi Moshe-Leïb de Sassov, pour sauver son peuple, allait lui aussi dans la forêt et disait : « . Je ne sais pas comment allumer le feu, mais je peux situer l’endroit et cela
devrait suffire. Et cela suffisait : là encore le miracle s’accomplissait. Puis ce fut le tour du Rabbi de Rizhin d’écarter la menace. Assis dans son fauteuil il prenait sa tête entre les mains et parlait à Dieu : « Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne peux même pas retrouver l‘endroit dans la forêt. Tout ce que je sais faire, c’est raconter cette histoire. Cela devrait suffire » Et cela suffisait » (173)
Dorénavant l’oubli est dans la mémoire, il hante la mémoire et la mémoire est dans l’oubli, elle harcèle l’oubli. Inutile de s’adresser à un Dieu absenté depuis longtemps. Ce que l’homme, dans sa barbarie a détruit, il faut que l’homme tâche de sauver, ce qui est encore sauvable. Comme un défi à l’Histoire et au monde, l’opiniâtreté du peuple à la nuque roide cherche à transmettre ce qui peut encore l’être.
Les ultra-orthodoxes le font au nom de Dieu. Les séculiers le font au nom de l’homme.
Il existe des enseignements universitaires dans certains pays occidentaux, il existe des maisons de la culture où la langue et la culture sont enseignées grâce à l’enthousiasme et au
dévouement de personnes souvent obligées de gagner leur vie par ailleurs. Ainsi des bourgeons apparaissent ici et là, comme la branche d’olivier après le Déluge. Des chercheurs
font un travail de fourmi et d’ampleur : linguistique, littéraire , artistique. On dit qu’il existe encore une dizaine d’écrivains yiddish de par le monde. Mais pour faire une littérature, il en
faut des milliers, dont une infime partie surnage grâce en partie à ceux qui sont moyens, médiocres ou graphomanes. C’est vrai pour toutes les cultures.
Les idéologies universalistes, les utopies les plus séduisantes, ont échoué lamentablement dans les poubelles de l’Histoire, se sont effondrées à jamais. L’Amérique du Sud, L’Amérique centrale, l’Amérique du Nord n’ont pas connu le Khurbn. Mais les Juifs qui y vivaient avaient perdu leurs parents, leurs frères et soeurs, toutes leurs familles, leurs amis, leurs proches, tout ce qu’ils appelaient « di alte heym », « the old home » et qui prenait une valeur symbolique, une prégnance qu’elle n’avait jamais eue. Ils vivaient à la fois la culpabilité et l’impuissance devant l’irréparable.
Ils avaient néanmoins certaines institutions, une certaine influence sociale qui leur permirent d’éditer, de créer des chaires. le Yivo conservait des trésors et des archives inestimables. L’institut Leo Baeck était un puits d’archives. Il fallut parer au plus pressé :
essayer de comprendre le gouffre où tout avait sombré. Les historiens s’attachèrent immédiatement à cette tache.
D’autres démarches eurent lieu. Des démarches volontariste, individuelle et collective. Le yiddish avait représenté à la fois l’intime, le collectif et le politique. Un héritage même détruit, même inconnu, fait naître un vide, un besoin, une nostalgie, à la place de l’utopie, au moins une aspiration. Ce n’était pas le yiddish qui avait besoin de ces hommes et de ces femmes, comme dit Itzhok Niborski, c’étaient eux qui avaient besoin du yiddish.
En France, après l’effondrement des idéologies universalistes, après mai 68, un afflux d’étudiants envahit les cours qu’on avait pu créer tant bien que mal à l’université. Certains réussirent à apprendre la langue, d’autres firent de la traduction, d’autres encore de la recherche. Plus tard les associations reprirent le flambeau.
Certains apprenants, comme on disait à l’époque, tentèrent de se réapproprier la langue.
Cette démarche, je parle de mon expérience d’enseignante, connut mille difficultés. Des difficultés d’ordre matériel. Il fallait avant tout s’assurer un métier, une profession, ensuite les exercer. La chose la plus précieuse au monde, le temps n’était pas extensible. Beaucoup cherchèrent à surmonter cet obstacle. Les cours du soir se multiplièrent…

Mais l’obstacle le plus dur à surmonter ne fut pourtant pas d’ordre matériel. Il était d’ordre psychologique. Les étudiants étaient clivés. Ils ne savaient pas au juste ce qu’ils venaient chercher. Ils venaient surtout combler des vides incomblables.
Ecrire la langue au tableau était exposer quelque chose qui était de l’ordre de leur intimité. Une fois ceci accepté, des étudiants bardés de diplômes, qui avaient appris le grec, le latin, le sanscrit, le russe, l’allemand, s’obstinaient à dire que leurs grands-mères ne déclinaient pas, ne conjuguaient pas. Eux qui avaient appris plusieurs alphabets ne parvenaient pas à retenir les vingt-deux lettres de l’aleph-beys yiddish.
Heureusement un certain nombre y parvint.
La place de l’enseignant n’était pas simple non plus. D’abord l’accent n’était jamais celui de la grand-mère ou du grand-père. Il se trouve que je suis litvak. Mais surtout l’enseignant devait pallier l’absence, non pas malveillante mais protectrice des parents, qui ne voulaient pas exposer leurs enfants à la brûlure de cette langue. Il devait aussi pallier l’absence , cette fois-ci souvent réelle des grands parents, des tantes, des oncles, de tous ceux qui avaient disparu. Comment répondre à cette demande impossible, insatiable. ? Une fois de plus, il fallut que la permanence du yiddish cherchât d’autres formes. A
défaut de la langue, certains cherchèrent la culture. Pour ceux qui réussirent à trouver la foi, la chose était plus simple. La religion , à défaut de répondre aux questions, était un solide étai de judéité.
Mais pour les autres, les laïques qui cherchaient précisément le lien entre l’intime, le personnel, le collectif et le politique la tâche était plus ardue. Restait cette frustration d’une langue, d’une culture qui sont votre héritage légitime, d’une langue, d’une culture qui vous reviennent de droit et auxquelles vous ne pouvez accéder. De ce babil interne qui vous hante, qui est en vous, que vous ne comprenez pas.
Cette quête passa pour certains par la musique : les groupes de klezmorim se multiplièrent. Elle passa par la traduction et la lecture des trésors de la culture juive, Bible, Talmud, philosophie et l’ampleur de la littérature yiddish traduite en prose comme en poésie.
Le bilan est loin d’être négligeable mais il reste si disproportionné à tout ce qui a été anéanti que cela donne le vertige.
L’occident tout entier, je ne parle pas d’individus, mais des pouvoirs étatiques portent une responsabilité commune, même si elle est différente d’un pays à un autre.
Les colloques sont importants et ont leur utilité, ne fût-ce que pour faire le point . Pour comprendre où nous en sommes dans le monde et le rôle que peut jouer dans la problématique
contemporaine la langue et la culture yiddish. Pour partager notre pessimisme et notre optimisme.
J’ai assisté à un colloque organisé par l’UNESCO en Israël en présence encore de Khone Shmeruk et d’invités de touts les pays dits occidentaux. De grandes résolutions furent prises. Il en sortit une modeste brochure . Et cela s’arrêta là.
Je ne dirai pas comme les rabbis hassidiques, « cela devrait suffire ». Mais l’histoire, l’oubli, la mémoire, à défaut de Dieu, s’insurgent : cela ne suffit pas. La langue yiddish ne redeviendra pas, je crains, « a folks–shprakh », la langue du peuple, mais elle peut conserver et transmettre son infinie richesse en son propre idiome ou, comme dans la métaphore de Peretz par « la métamorphose de sa mélodie », en d’autres langues.
Outre le travail admirable et opiniâtre que font universités, associations culturelles pour maintenir en vie ce qui peut l’être, il est un domaine que je trouve crucial pour maintenant et pour l’avenir. Le domaine de la traduction du yiddish dans le plus de langues possibles.
Leur premier but est de faire revenir ceux qui le souhaitent et le peuvent vers la matrice originelle. Mais, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Cela ne peut être qu’une minorité qui joue un grand rôle, mais dans des cercles limités.
La spécificité de la culture juive crée des difficultés techniques pour la traduction.
Mais elles ne sont pas insurmontables, moindres que celles des langues extrême-orientales par exemple. Le yiddish est une langue européenne, peut-être la plus européenne de toutes.
Tout locuteur naturel pense que sa langue est intraduisible. C’est une erreur . Tout texte appelle une traduction, comme le dit Walter Benjamin. Il y a des pertes et des gains.
Parfois on trouve des équivalents, parfois on fait naître un imaginaire dans des champs sémantiques différents. mais qui ne sont pas nécessairement des appauvrissements, mais au
contraire, la nostalgie de la langue absente.
La traduction du yiddish à mon sens joue un rôle capital. En faisant entrer dans l’imaginaire des Juifs et des non-Juifs, dans tous les pays où elle se manifeste, elle enrichit la culture universelle. Car toute grande littérature est universelle, quel que soit la taille ou le prestige du peuple qui la porte.
Il y a bien sûr des difficultés techniques, psychologiques et symboliques dans le traduire le yiddish, une spécificité en grande partie liée à l’anéantissement, après l’extermination de la plupart de ses locuteurs et du même coup de leur langue. L’unicité que
représente l’annihilation du peuple juif d’Europe fonde la singularité, l’unicité que représente le-traduire-le yiddish.
Si l’on admet avec Henri Meschonnic que dans le traduire, « le statut du sujet est capital », ce dont je suis convaincue, la question qui se pose alors est : quel est le statut du traducteur du yiddish aujourd’hui ? De celui pour qui la parole, la voix, les modulations, les rires, les pleurs, la scansion, le rythme des phrases de la langue exterminée sont perdus. Mais ce silence abyssal, rendu perceptible, palpable, par les poètes, intime l’ordre de le faire parler.
« Pour recueillir et transmettre ce qui reste d’une culture détruite, il faut le traduire « écrit Janine Altounian, parlant du génocide arménien. Moi , j’entends ce traduire au sens le plus large du terme, tout en sachant qu’il y aura toujours un reste inaccessible, inatteignable.
Ce reste ne relève pas des problèmes techniques du traduire, mais d’un vécu et d’une destruction hors parole.
Le statut du traducteur du yiddish se présente dès lors dans une ambivalence, unécartèlement absolus.
Il est condamné à une plongée en apnée, souffle coupé, pour prendre, accueillir ces fragments, ces bribes, ces éclats, recoller les morceaux de la langue, les arracher au chaos de l’Histoire, capter ce babil qui bruit en lui, qui le hante, le ramener au jour, le faire advenir à la lumière, dans la lumière d’une langue qui n’est pas interdite de vie. Il s’agit en quelque sorte de faire le deuil de la langue assassinée, en la transfusant dans la vitalité d’une autre. Mais simultanément , il s’agit, comme pour les écrivains, de faire oeuvre d’art. C’est à dire concilier des affects contradictoires. Le deuil de la langue et la jouissance esthétique de la translation, de la transposition, de l’écriture. Et cet écartèlement génère un trouble profond qui peut aller jusqu’au mal-être, jusqu’au remords.
Le statut du traducteur du yiddish est non seulement de faire dans l’ambivalence le deuil de la langue, son statut est également le statut du témoin. Il est sommé de porter témoignage, non pas de la mort de la langue, mais de sa vie abrogée. L’acte de traduction se confond avec l’acte du témoignage, témoignage de la vie, de la vitalité même de cette langue et de sa culture, de sa création, et témoignage de l’Anéantissement - ceci en toute humilité.
Car Primo Levi, lui-même rescapé du läger nous prévient :
« Nous les survivants, ne sommes pas les vrais témoins(…) les musulmans, les engloutis, les témoins intégraux, ceux dont la déposition aurait eu une signification générale »… « nous, nous parlons à leur place par dérogation »
La tâche du traducteur du yiddish est donc d’être le témoin du témoin absent.
Aujourd’hui (…) « le sans parole fait parler le parlant » écrit Giorgio Agamben.
Il y a dans le traduire-le –yiddish une scission très particulière du sujet. Son langage propre naît dans l’écart, dans l’écartèlement entre deux langues dont la dissymétrie est absolue,
écart entre langue de mort et langue de vie.
Pour le traducteur du yiddish « sa propre langue », est en quelque sorte inassignable.
S’agit-il de la langue de départ dont il est dépositaire ou de la langue d’arrivée, sa langue d’expression, dont il est amené à s’interroger s’il peut la qualifier légitimement de sienne. Le
« je » du traducteur comme témoin se trouve suspendu dans cet écart .
Le traducteur du yiddish se tient aux limites extrêmes de son statut aporique, paradoxal, contradictoire : le déchirement entre la langue morte et la langue vivante, le deuil de la langue et la jouissance de l’esthétique du traduire, la non-coïncidence du traducteur à luimême en tant que témoin.

Parmi tous les efforts, pour arracher aux ruines, aux décombres de l’Anéantissement les composantes essentielles de cette langue et de cette culture — apprentissage et enseignement, recherche, musique, peinture, la traduction, tient à mon sens, une place capitale.
En faisant jouer ensemble toutes ces strates on peut espérer qu’une sédimentation fertile verra le jour, dont il est impossible de prévoir les avatars et les configurations, mais qui peut, peut-être, redonner une fluidité, une capacité de métamorphose, bref une vitalité au yiddish qui lui donnera une forme de permanence .
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 Monsieur Le Grand Rabbin SIRAT Monsieur Le grand Rabbin René-Samuel SIRAT, directeur de la chaire de Connaissance réciproque des Religions du Livre et de L’Enseignement de la Paix à l’UNESCO, et le Dr Reinhard HASSENPFLUG, Délégué permanent adjoint, Délégation permanente d’Allemagne auprès de l’UNESCO
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
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 Monsieur Le Grand Rabbin SIRAT Daniel RONDEAU, Ambassadeur, Délégué permanent de France auprès de l’UNESCO
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Vues de la Salle
Crédit Photo : Cyril BAILLEUL
Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish Colloque Permanence du Yiddish
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1ère Table Ronde : Continuité du Yiddish Vivant

 M. Mauro ROSI M. Mauro ROSI, Maître de Cérémonie
Crédit Photo : Jasmine Van Deventer
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Yitzkhok NIBORSKI Yitzkhok NIBORSKI, maître de conférences à l’INALCO, vice-président de la Maison de la culture yiddish
Crédit Photo : Cyril Bailleul

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 Simon NEUBERG Simon NEUBERG
Crédit Photo : Cyril Bailleul
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 Yankl Peretz BLUM.jpg Yankl Peretz BLUM
Crédit Photo : Cyril Bailleul


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 Hinda BURSTIN.jpg Hinda BURSTIN
Crédit Photo : Cyril Bailleul - Yiddish






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 Kenneth MOSS.jpg Kenneth MOSS
Crédit Photo : Michel FINGERHUT






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2ème Table Ronde : Créer en Yiddish

 Macha FOGEL Macha FOGEL
Crédit Photo : Jasmine Van Deventer
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 ALEXEEVA-ANTIPOV Marina ALEXEEVA-ANTIPOV Marina
Crédit Photo : Michel FINGERHUT





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 Mendy CAHAN Mendy CAHAN
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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 Michael ALPERT Michael ALPERT
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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 Bryna WASSERMAN Bryna WASSERMAN
Crédit Photo : Jasmine VAN DEVENTER
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3ème Table Ronde : Le Yiddish et les Nouveaux Outils de Communication

 FINGERHUT Michel FINGERHUT Michel
Crédit Photo : Jasmine Van Deventer
FINGERHUT MichelColloque « Permanence du yiddish » Michel Fingerhut
Table ronde « Le yiddish et les nouveaux outils de la communication »
Unesco, 13 novembre 2012
Introduction Michel Fingerhut
Le premier ordinateur – ENIAC I – étant né en 1946 et les réseaux informatiques au cours des années 1960, les outils de communication électroniques – notamment le courrier mais pas uniquement – ne sont pas récents, du moins à l’échelle du développement du numérique (le Web, lui, est apparu au début des années 1990). Le yiddish ayant été la langue véhiculaire (et souvent aussi vernaculaire) principale du judaïsme ashkenaze jusqu’à la Shoah et de nombre de ses survivants, on est en droit de s’interroger sur sa place sur l’Internet : comme langue de communication personnelle mais aussi, avec le développement accru de la numérisation et de la mise en ligne, comme celui de publication en ligne, que ce soit de son patrimoine écrit (littérature, presse, ephemera…) et enregistré (musique, théâtre, cinéma…), de l’actualité, de la création…
Les évolutions techniques liées aux langues, que ce soient les normes (de codage de l’alphabet, par exemple), les outils et les services en ligne (à commencer par les polices de caractère et les claviers, mais aussi les correcteurs orthographiques, les dictionnaires, les interfaces des logiciels, les traducteurs…) sont en général motivées par le poids économique et politique des locuteurs au regard des grandes industries informatiques. En ce qui concerne le yiddish, il semble que, lorsque développement il y a, il est plutôt spécifique et le fruit de l’initiative d’individus ou d’organismes personnellement motivés : on peut ainsi citer la normalisation des « noms de domaine » en yiddish (ce qui permet d’écrire des adresses de pages web en yiddish, à l’instar de http://בײַשפּיל.טעסט 1), dû à Cary Karp en Suède, où le yiddish est l’une des cinq langues officielles2.
Une possible typologie des ressources que le numérique et les réseaux sont susceptibles de fournir pourrait ainsi aborder les outils (par exemple : de codage, de traduction, de translittération…), les contenus et leur localisation physique et/ou numériques (non seulement des documents numérisés ou nativement numériques, mais aussi des informations événementielles, des programmes interactifs, des catalogues, des bases de données, etc.) et les personnes (morales ou physiques, privées ou publiques) avec lesquelles il est possible de communiquer (que ce soit via le courriel, les réseaux sociaux, Twitter et autres modes ou dans un cadre professionnel et institutionnel).
Une autre grille de lecture, celle des usages, distinguerait les axes suivants : trouver (chercher, découvrir : annuaires de ressources, moteurs de recherche3, portails et plus généralement projets fédérateurs à l’instar de Judaica…) ; accéder (contenus et services en ligne et hors ligne) ; comprendre (résumer, annoter, discuter) ; réutiliser (extraire, enrichir, transformer, transmettre).
Dans l’une ou l’autre de ces perspectives, se posent nombre de questions : qu’existe-t-il actuellement et quelles sont les lacunes ; quels sont les atouts, les problématiques, les évolutions souhaitées ?
Cette table ronde ne pourra forcément pas recouvrir l’éventail de « l’offre » en yiddish des techniques numériques de la communication. Elle fournira des éclairages sur certains de ses aspects actuels qui, je l’espère, en intéresseront plus d’un et suscitera des projets fédérateurs et structurants de cette foison croissante de ressources.
1 Exemple parfait des difficultés techniques qu’on rencontre en souhaitant utiliser le yiddish : le copier-coller de cette adresse à partir d’un site dans cette page Word a fait planter Word…
2 En France, le yiddish est l’une des 75 langues minoritaires de France, selon le rapport Cerquiglini (1999), et donc reconnu à ce titre depuis 2008 par la Constitution comme appartenant au patrimoine de la France.
3 Il n’y a pas – à ma connaissance – de grand moteur de recherche qui sache effectuer la même recherche en yiddish, que la requête soit écrite en alphabet yiddish ou en translittération – faculté que le traducteur en ligne de Google permet pour le russe, par exemple.
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 KRINICKA Natalia KRINICKA Natalia
Crédit Photo : Lenny GUIT
KRINICKA Natalia La Création d’une bibliothèque virtuelle en yiddish Natalia Krynicka
Pourquoi est-ce si important de créer une bibliothèque virtuelle en yiddish d’une envergure mondiale ?
Prenons un chercheur italien qui souhaite étudier la littérature mexicaine : il est probable qu’il devra se rendre au Mexique pour approfondir ses recherches. C’est loin, c’est coûteux, mais quand c’est fait, c’est fait. Pour un chercheur en littérature yiddish, c’est beaucoup plus compliqué. Moi-même, quand je faisais des recherches dans les années 1990, à l’époque, où la numérisation n’avait pratiquement pas encore démarré, ni celle des documents, ni même celle de la majorité des catalogues, j’ai dû me rendre en Pologne, en Israël et aux États-Unis, et encore, j’ai eu beaucoup de chance car j’avais sur place, à Paris, la Bibliothèque Medem, avec ses 30 000 livres dont 20 000 en yiddish.
Cette difficulté particulière des recherches en littérature yiddish résulte du destin tragique du peuple juif, des siècles des bouleversements politiques en Europe centrale et orientale, ainsi que du fait que la langue yiddish a toujours été minoritaire et la plupart de temps - méprisée. Il n’y avait donc pas d’infrastructures étatiques centralisées pour assurer la sauvegarde des documents publiés dans cette langue.
Les livres yiddish qui n’ont pas été détruits pendant la Deuxième Guerre mondiale ou au cours des guerres précédentes, sont donc éparpillés dans les différentes bibliothèques du monde entier. Même les bibliothèques les plus fournies en livres yiddish, comme le Yiddish Book Center, la Bibliothèque Nationale et Universitaire à Jérusalem, le YIVO à New York, la Maison de la culture yiddish - Bibliothèque Medem, l’Institut Historique Juif à Varsovie ou la Library of Congress, sont loin d’avoir la totalité des livres yiddish, qu’on estime aujourd’hui à plus de 40 000 titres.
En plus, ces publications sont souvent dans un pitoyable état qui ne fait que se dégrader d’année en année car une grande partie des livres yiddish a été imprimée sur le papier acide qui finit par tomber en morceaux. Leur manipulation est donc extrêmement délicate et la numérisation représente parfois le principal moyen de leur sauvegarde.
C’est pour toutes ces raisons que la construction d’une bibliothèque numérique mondiale pour les livres yiddish paraît primordiale et même urgente.
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État des lieux – qu’est-ce que nous avons et qu’est-ce qui nous manque
Depuis quelques années, plusieurs bibliothèques possédant des fonds yiddish importants ont mis une
partie de leurs collections en ligne.
Je commence par ce que je connais le mieux, la bibliothèque Medem, qui, l’année dernière, a mis
environ 1500 livres yiddish en ligne. On peut les consulter à travers le catalogue Rachel
(www.rachelnet.net) – le Réseau européen des bibliothèques Judaica et Hebraica, créé en 2004 par
l’Alliance Israélite Universelle, le Séminaire Rabbinique de France et la Maison de la Culture Yiddish –
Bibliothèque Medem. Par la suite, le réseau a intégré d’autres partenaires, comme le Musée d’art et
d’histoire du judaïsme. Un avantage par rapport aux quelques autres sites proposant des documents
numérisés est qu’on a également scanné la couverture du livre. Ce projet a été financé par Judaica
Europeana (http://www.judaica-europeana.eu/) et on peut également consulter les documents
numérisés sur ce site. Je vais y revenir plus en détail un peu plus loin, là je voudrais encore ajouter
qu’à côté des livres et des périodiques dont parlera ma collègue, Akvile Grigoraviciute, la
Bibliothèque Medem et d’autres bibliothèques du réseau Rachel, notamment le Centre Français des
Musiques Juives ont numérisé quelques milliers d’enregistrements de chansons yiddish, dont les
extraits sont consultables sur Rachel et sur Judaica Europeana.
L’institution la plus connu pour ses livres accessibles en ligne est sans aucun doute le Yiddish Book
Center à Amherst (http://www.yiddishbookcenter.org/), fondé en 1980 par Aaron Lansky ; il ne s’agit
pas d’une bibliothèque classique mais d’un énorme centre de sauvegarde des livres yiddish avec plus
d’un million des volumes. Depuis 1997, grâce au projet Steven Spielberg Digital Yiddish Library, ils ont
numérisé 11 000 titres, qu’on peut consulter en ligne ou télécharger gratuitement. Depuis un certain
temps, on peut effectuer la recherche en caractères hébraïques
(http://www.yiddishbookcenter.org/books/search).
Quand on parle des grands projets de numérisation des livres yiddish par des bibliothèques, il faut
mentionner la New York Public Library (http://www.nypl.org ; http://www.nypl.org/collections) qui a
déjà mis en ligne la grande majorité de ses 700 livres du souvenir
(http://legacy.www.nypl.org/research/chss/jws/yizkorbookonline.cfm), et qui travaille maintenant
avec le Yiddish Book Center sur leur traduction en anglais.
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A côté des bibliothèques, il existe également d’autres institutions, uniquement virtuelles, qui proposent des livres yiddish numérisés.
Je vais commencer par un site auquel on ne pense pas toujours quand on cherche des livres yiddish en ligne, le Hebrew Books (http://hebrewbooks.org). Parmi ses 50 000 livres, dont la majorité est en hébreu et concerne le domaine religieux, on trouve également des livres yiddish. Il est difficile de savoir combien il y en a, et selon quels critères ils ont été choisis, mais le site propose entre autres plusieurs livres religieux en yiddish, ce qui n’est pas forcement le cas ailleurs ; on peut y trouver quelques ouvrages fondamentaux, comme le Thésaurus de la langue yiddish de Nokhem Stutshkov ou le dictionnaire biographique des écrivains yiddish de Berl Kahan. Ce qui est très pratique, ce qu’on peut chercher à l’intérieur du livre.
Un projet de numérisation énorme est bien sûr le site Judaica Europeana, projet coordonné par l ‘Association européenne pour la culture juive de Londres et la Bibliothèque universitaire de Francfort. Il englobe une trentaine de partenaires, notamment des bibliothèques, des archives et des centres culturels des dix pays européens mais également ceux d’Israël et des Etats-Unis. Il est subventionné par la Commission européenne. On peut y consulter non seulement des documents imprimés et des enregistrements, mais aussi des photos, des films ou des objets. Le site existe depuis 2010 et on peut y trouver déjà près de 4 millions documents. Les livres yiddish qu’il propose proviennent essentiellement de la Maison de la culture yiddish - Bibliothèque Medem, mais également d’autres bibliothèques. Dans certains cas, on peut aussi chercher des mots à l’intérieur du livre (ex. : Bayerische Staatsbibliothek).
Un cas à part est Google books (http://books.google.com/advanced_book_search), projet qui existe depuis 2004, où on peut faire des recherches dans un grand corpus des livres yiddish. C’est extrêmement utile si on veut trouver un mot ou une expression précise, pour des linguistes, pour chacun qui veut retrouver la signification d’un mot qui ne figure pas dans des dictionnaires, ou pour la recherche des références bibliographiques. Si les livres sont libres de droits, on peut les voir en entier, voire télécharger ; si ce n’est pas le cas, on voit juste quelques pages ou, le plus souvent, 2-3 phrases. Le nombre des livres accessibles sur Google books continue d’augmenter, car il possède des moyens techniques impressionnants, comme une camera qui peut scanner 1000 pages par heure. Ils ont déjà 20 millions livres dans plusieurs langues, malheureusement il est difficile de savoir combien de livres yiddish sont parmi ces 20 millions.
Ceci sont les sites le plus importants, il y en a bien sûr beaucoup plus, car plusieurs bibliothèques ont mis leurs livres yiddish en ligne. Mais – et cela rejoint la seconde partie de mon propos - ‘qu’est-ce qui nous manque’, il est souvent difficile de savoir quels livres yiddish se trouvent en ligne et où. Il
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n’existe pas, à ma connaissance, un site équivalant au Catalogue collectif de France, qui regrouperait tous les catalogues des bibliothèques possédant des fonds yiddish et indiquerait quels ouvrages sont déjà numérisés. Il faut donc bien savoir où chercher pour pouvoir trouver. Sur Rachel, on peut effectuer une recherche multi-catalogues, mais le choix n’est pas très grand. On pourrait peut-être envisager de l’élargir. En général, une meilleure coordination entre les différents organismes qui entreprennent la numérisation serait peut-être souhaitable. Au lieu de numériser un ouvrage qu’on trouve déjà en ligne, il serait peut-être préférable d’en choisir un autre, qu’on ne trouve encore nulle part.
La recherche même pose plusieurs problèmes techniques, dont le plus épineux est celui des caractères et de translittération. Tout dépend de ce comment chaque bibliothèque a catalogué les livres yiddish. Si c’est en caractères hébraïques, cela facilite énormément la recherche. En revanche, quand il faut chercher en translittération, c’est un vrai cauchemar, car très peu de bibliothèques ont appliqué la translittération YIVO et souvent à l’intérieur d’une même bibliothèque, la translittération n’est pas cohérente. Le problème de coordination entre les caractères hébraïques et latins existe par exemple sur Judaica Europeana. Si vous cherchez l’auteur Avrom Sutzkever en caractères latins et en caractères hébraïques, vous ne tomberez pas sur les mêmes documents. En cherchant en caractères latins, vous ne trouverez pas la majorité de ses livres en yiddish, même si dans la bibliothèque source – en l’occurrence la bibliothèque Medem, son nom est attaché à une notice d’autorité, grâce à laquelle on peut retrouver une notice cataloguée en caractères hébraïques en cherchant en caractères latins et vice versa.
Il y a également des problèmes au niveau des critères de recherche – il est notamment difficile d’avoir une liste de tous les livres yiddish qui se trouvent dans une bibliothèque ou sur un site ; le plus souvent, la recherche par langue existe uniquement comme un filtre des résultats, et non pas comme un critère de recherche ; et sur Google books, le yiddish n’existe même pas en tant que filtre. Ceci dit, pour un outil de recherche à l’intérieur d’une bibliothèque, il serait peut-être difficile de gérer vingt milles réponses.
On rencontre également de nombreux problèmes liés à la recherche à l’intérieur des livres, résultant de la reconnaissance des caractères défaillante, ce qu’on voit notamment sur Google books.
Pour terminer, je voudrais juste mentionner que dans le projet de numérisation, il faut considérer autres problèmes que ceux de nature purement technique ou financière – notamment des problèmes juridiques, ceux des droits d’auteur.
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En conclusion, on peut dire qu’on a énormément progressé depuis quelques années en matière de numérisation, mais qu’il reste encore un grand travail à faire.
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 Yoel MATVEYEV Yoel MATVEYEV
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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 Akvile GRIGORAVICIUTE  Akvile GRIGORAVICIUTE
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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 Marius TUKAJ Marius TUKAJ
Crédit Photo : Jasmine VAN DEVENTER
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4ème Table Ronde : Parcours Identitaires Singuliers, animée par Sharon BAR-KOCHVA

 Sharon BAR-KOCHVA Sharon BAR-KOCHVA
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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 Michèle TAUBER Michèle TAUBER
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
TAUBER Michèle L'hébreu et le yiddish : on ne choisit pas entre son père et sa mère Yiddish, la langue-saveur, yiddish, la langue-poésie, yiddish, la langue-musique, et tout d’abord, yiddish, la langue de mon père, מײַןטאַטע לשון . Sa langue maternelle à lui, émigrée à Paris avec lui. Langue de l’enfance car langue des parents, inaccessible dans un premier
temps, langue de leurs secrets mais aussi de leurs rires, langue de Dzigan et Schumacher. Ainsi, Arnold et Léa, mes parents, Lonia et Henri, ma tante et mon oncle, sont les premiers à m’inoculer leursשמחות און צרות, זייער לאכן און ווײַנען אויף יידיש . Theodor Bikel et Sara Gorby veillent au grain de la musique et de la poésie : les craquements de leurs disques vinyles restent indissociables deלאַפּּטשעס, פּאַפּיר איז דאָך ווײַס, מאַרגאַריטקעלעך און רייזעלע . Arnold traduit
et translittère, Léa tape le tout à la machine : mon premier recueil de chansons en yiddish est prêt ! La voix d’or de ma mère - interprète de musique classique et populaire et la basse paternelle reprennent en choeur.
C’est à l’Université de Jérusalem que la syntaxe et la
morphologie du yiddish se révèlent pleinement et ce, sous la houlette pleine de saveur et de savoir de Avrom Noverstern, mon premier professeur. Or, c’est en hébreu que se fait mon apprentissage linguistique de אונדזער לשון, לשוננו , c’est par le truchement de la langue
sacrée désacralisée que je pénètre dans le sanctuaire grammatical de la langue de MES père, mère, et grand-parents. C’est l’hébreu en personne qui me mène aux sources de la poésie yiddish, me donne la clé de ses conteurs, me fait accéder au קודש הקודשים , le Saint des Saints, de ses grands prosateurs. Mendele, notre זיידע de la littérature yiddish n’a-t-il pas rédigé quasiment toute son oeuvre en bilingue : en yiddish ET en hébreu, insufflant simultanément à l’une et l’autre
langue une énergie vitale renouvelée ? L’éminent traducteur de
yiddish, Charles Dobzynski affirme lui-même dans l’introduction à son anthologie poétique Le Miroir d’un peuple que «malgré leur
rivalité les deux langues sont jumelles». L’écrivain israélien Aharon Appelfeld, originaire de Tchernowitz ne dit pas autre chose:
«L’hébreu et le yiddish sont comme des soeurs jumelles qui logent sous un même toit.»
De retour à Paris, c’est à l’Institut des Langues Orientales, avec
M. Varsat-Warshawski, que je poursuis ma quête en littérature
yiddish. Yitshok Niborski inaugure ses premiers séminaires
dominicaux : מען רעדט, לייענט, שרײַבט, עסט און טרינקט אויף יידיש אַ גאַנצן
טאָג . Les nourritures spirituelles s’allient harmonieusement aux
nourritures terrestres : le yiddish est présent jusque dans la moindre bouchée! Comme l’écrit à nouveau Appelfeld : «Ma grand-mère parlait yiddish et sa langue avait un autre son (que l’allemand) ou plutôt un autre ‘goût’ puisqu’elle m’évoquait toujours le parfum de la compote de pruneaux.»
Puis c’est la rencontre avec Mordekhaï Litvine, prélude à des
années d’amitié, de complicité et d’émotions partagées. Non loin du métro Jourdain et de la rue de Palestine, Litvine et Bella sa compagne vous accueillent dans un havre d’hospitalité qui fleure bon la Mittel Europa d’avant-guerre. D’ailleurs toute l’Europe littéraire est présente, en langue originale... et en yiddish ! Car Litvine, outre son métier de critique littéraire yiddish, est un traducteur de génie. La poésie est son domaine de prédilection et sous le crépitement du clavier de sa petite machine à écrire, Goethe, Rilke, Celan, Marina Tsvetaeva, Boris Pasternak, Ronsard, Victor Hugo, et surtout Charles Baudelaire, poète des premiers émois en langue française, tous sont transmués par l’alchimie du verbe litvinien en un yiddish universel.
L'hébreu ne demeure pas en reste : tous ces poètes, Baudelaire
compris, résonnent également dans la langue biblique que Litvine
maîtrise parfaitement. Nous commentons ensemble Ahavat Tsiyon/
L'amour de Sion, premier roman de fiction en hébreu au programme de l'agrégation d'hébreu moderne que je prépare alors.
Le choix du yiddish en option «langues juives» au concours
s’impose tout naturellement. Grâce à Rachel Ertel, membre du jury du concours, l’oeuvre de Itzik Manguer, et tout particulièrement, מדרשאיציק , me devient familière, voire même intime : le poète fait descendre de leur piédestal biblique des personnages jusque-là figés dans une pose hiératique millénaire. Et voici que déambulent dans les ruelles du shtetl et de la campagne environnante , אדמשי און די מוטער חוה
אברהם אבינו וואָס מוסרט לוטן, אסתר המלכה די גרינע, און ושתי אין דער
קרינאָלינע, אחשורוש דער קעניג וואָס וויפֿיל ער טרינקט איז אים ווייניק, מרדכי דער
.חכם עתיק און המן הרשע דער לאטעק
C’est alors que Jacqueline Glückstein, responsable du Centre
Culturel Vladimir Medem rue René Boulanger, me propose d’animer un séminaire sur les hébraïsmes dans la langue yiddish.
Comme on le sait, le yiddish est une langue de fusion formé de
quatre composantes: le hoch-deutsch (allemand médiéval), le roman, le slave et, la dernière mais non la moindre, l’hébreu-araméen. Cet hébreu demeure présent dans toute l’histoire du yiddish, corrrespondant, comme l’indique Alex Derczanski, aux diverses strates de l’hébreu rabbinique : biblique, michnique et médiévale, ainsi qu’au judéo-araméen du Talmud et du Zohar. À partir de la destruction du second Temple en l’an 70 et les débuts de la diaspora, s’instaure au sein du peuple juif une situation de «double bilinguisme», selon les termes de Max Weinreich : le «bilinguisme interne» entre une judéo-langue et l’hébreu et le «bilinguisme externe» entre une judéo-langue et la langue co-territoriale. Or, si ce«bilinguisme externe» (yidddish-slave) reste avant tout oral, le«bilinguisme interne» qui concerne le yiddish et l’hébreu relèveégalement de l’écrit. C’est là que surgit la difficulté majeure pour l’étudiant en yiddish : en effet, même si la langue yiddish utilise les caractères hébraïques, ceux-ci obéissent à un mode de lecture syllabique sur le modèle de nos langues européennes. Du moins en ce qui concerne les termes germaniques, romans et slaves. Car l’hébreu, langue consonantique, ne retranscrit pas les voyelles et le lecteur
novice a alors toutes les peines du monde à déchiffrer le terme
hébraïque.
Le but de ce séminaire était, et est toujours, d’aider les lecteurs en yiddish à identifier les mots et expressions en hébreu, voire en
araméen. Mais le déchiffrage de l’hébreu dans la langue yiddish
implique également que le lecteur soit familier de la vie juive au
quotidien ; celle-ci est en effet rythmée par toute une série de gestes traditionnels lesquels apparaissent en hébreu dans le texte yiddish. Il s’agit par conséquent non seulement d’expliquer le sens des mots mais d’évoquer simultanément une coutume, une croyance, un adage talmudique, un épisode biblique, un midrash ou un conte hassidique ; en bref il convient de montrer le lien indéfectible qui existe entre le yiddish, l’hébreu et la tradition juive. Les deux langues puisent aux mêmes racines et se nourrissent l’une l’autre. Litvine a très souvent
évoqué la figure paternelle de l’hébreu, langue de la Loi, de la rigueur et de la sévérité, contrebalancée par le yiddish, די מאַמע-לשון , toute tendresse et consolation.
Aharon Appelfeld a pour sa part composé une véritable ode à la
langue yiddish sous la forme d’un roman intitulé Une nuit après
l’autre, לילה ועוד לילה encore inédit en français. « Sans le yiddish, nous ne sommes rien d’autre qu’un peuple errant. Ce n’est que grâce au yiddish que nous pourrons assister à la résurrection des morts.»
L'allusion à la célèbre vision du prophète Ezéchiel est claire. : la
langue yiddish est la véritable héroïne du livre, une héroïne à laquelle on tente d’insuffler une vie nouvelle par le truchement de l’art, de la musique et de la littérature. Car, comme le clament haut et fort les personnages du roman, le yiddish doit renaître comme langue de la rédemption du peuple juif. Ainsi Appelfeld fait un double pari: d’une part il donne le rôle principal à la langue yiddish dont l’éloge est fait précisément par l’hébreu, celui-ci servant à mettre en valeur celle-là.
D’autre part, il inverse les rôles, conférant au yiddish, langue
longtemps méprisée, le statut de langue de nos Pères, de langue
sacrée, seule capable de rédimer le peuple juif et d’assurer sa survie.
Ces passerelles, ces résonnances constantes entre le yiddish et
l’hébreu à travers la littérature et par le biais de l’enseignement
aboutissent à un échange intergénérationnel à la fois émouvant et
passionnant. En effet, si, en tant qu’enseignante, je peux apporter de précieux outils aux étudiants, ces derniers en revanche, souvent yiddishophones de naissance, m’offrent en retour un jaillissement spontané de la langue de leur enfance enfouie parfois au plus profond d’eux-mêmes. Il s'agit d'une véritable interaction entre les locuteurs d'une langue maternelle uniquement orale au départ et l'enseignant qui a acquis cette même langue de façon académique et en possède la
maîtrise écrite. Les échanges éveillent simultanément une mémoire commune et partagée, découverte et re-découverte par la transmission du savoir, de la tradition, de la Loi, chez les étudiants, ou par l'évocation d'expressions familières, d'un accent yiddish entendus pendant l'enfance chez l'enseignant. Tous ces éléments mêlés en une symbiose étonnante se font écho les uns aux autres pour recréer, ou plutôt perpétuer, dans un continuum ininterrompu, langues, traditions et cultures entrelacées. On se sent envahi alors d’un grand bonheur :
le yiddish a enfin conquis ses lettres de noblesse grâce à sa nature hybride. Kafka écrit dans le Discours sur la langue yiddish : «Des migrations de peuples traversent le yiddish de bout en bout.Tout cet allemand, cet hébreu, ce français, cet anglais, ce slave, ce hollandais, ce roumain et même ce latin, est gagné à l’intérieur du yiddish par la curiosité et l’insouciance - il faut déjà pas mal de force pour maintenir des langues en cet état.»
Même les vocables qui désignaient autrefois le yiddish de façon
péjorative recèlent un sens tout à fait inattendu : jargon tire son
étymologie de l’ancien français «gazouiller», quant au sabir en
principe incompréhensible, il vient de l’espagnol «saper», savoir...Le yiddish, tout à la fois «nign» et «connaissance», serait donc l’expression du savoir universel. Ne disait-on pas naguère que lorsque l’on parle yiddish, on peut voyager dans le monde entier, d’Argentine en Australie, on se débrouillera toujours? Le yiddish déjà précurseur de l’anglais...Mais le yiddish reste d’abord et avant tout une langueéminemment européenne. Des bords de la Moselle jusqu’aux rivages de la Mer Noire, les yiddishophones ont parlé une seule langue sur un
même territoire : c’est la revanche de la tour de Babel. Le yiddish et l’hébreu se sont développés conjointement en terre européenne et l’épanouissement de la Haskala, les Lumières juives, au XIXè siècle, les a consacrés tous deux dans le domaine des sciences profanes telles que l’histoire, la littérature, ou la philosophie. Affranchie de son ghetto culturel, la langue yiddish a accédé à l’universalisme et à l’humanisme, fondements des valeurs européennes et, à l’égal de l’hébreu, elle est enseignée à l’université aussi bien au sein des départements d’études hébraïques et juives qu’au département d’études germaniques.
Mon champ de recherche actuel est tout entier dévolu aux deux
langues et à leurs littératures, à savoir la naissance concomitante des littératures hébraïque et yiddish modernes. Ce cheminement de concert, depuis les origines, non seulement en parallèle mais en une véritable osmose des deux langues et des deux littératures constitue la véritable colonne vertébrale de la littérature en langues juives (au pluriel), cet entrelacement aux racines profondes et fécondes qui resurgit aujourd'hui dans la littérature israélienne contemporaine.
Ainsi chanter et interpréter les poètes et le folklore en yiddish et
en hébreu représente la part artistique de cette recherche qui permetégalement de transmettre cette tradition au plus grand nombre par le truchement de la poésie et de la musique.
Aujourd’hui, dans cette Europe du XXIè siècle, au coeur même
de ce continent, dans le IVè arrondissement de Paris, ce «pletzel» qui a vu arriver il y a à peine un siècle nos grand-parents d’Europe de l’est, le yiddish vibre toujours sous des aspects sans cesse renouvelés.
Cyrille Fleischmann, Jean-Claude Grumbert et Robert Bober parviennent à nous faire entendre dans les Rendez-vous au Métro Saint-Paul, L'atelier, Quoi de neuf sur la guerre ? et autres Laisséespour- compte la musique du yiddish...en français. La magie de notreמאַמע–לשון opère même dans la langue de Molière. Notre ami Jacques Grober, poète et troubadour yiddish parisien trop tôt disparu, a su allier dans son oeuvre poétique et musicale le classicisme et la rigueur de la langue française avec la souplesse et la fraîcheur spontanée de sa langue maternelle.
En guise de conclusion, je tenterai une définition : le yiddish est la
langue de l’interprétation par excellence. Langue de la traduction et de l’exégèse bibliques durant des siècles au heder et à la yeshiva, langue du théâtre avec les premiers Pourimspiel dès le XVIè siècle, langue-passeur des grands textes de la littérature européenne traduits en yiddish, et enfin langue du nign perdu puis retrouvé, langue de la mélodie de Peretz en perpétuelle métamorphose, en un גלגול qui n’a certes pas fini de nous surprendre...
Michèle Tauber
Paris
Novembre 2012
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 VAISBROT Bernard VAISBROT Bernard
Crédit Photo : Jasmine VAN DEVENTER - VAISBROT Bernard










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 Batia BAUM Batia BAUM
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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5ème Table Ronde : "YIDDISH: Valeur et Valeurs pour le Futur, animée par Gilles ROZIER

 Gilles ROZIER Gilles ROZIER
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
- Introduction : ROZIER Gilles (Introduction) Gilles ROZIER – Introduction
Comme l’a dit Yitskhok Niborski dans son introduction, ce colloque a pour but d’exposer la situation actuelle de la langue yiddish. Nos prédécesseurs sur cette tribune ont longuement exposé ce qui se faisait concrètement, les initiatives diverses, personnelles ou collectives, qui participe à l’évolution et aux métamorphoses contemporaines de la langue yiddish.
Lors de cette présente table ronde, même s’il sera également question de “concret”, nous avons invité les intervenants à s’interroger sur des questions plus psychologiques, à savoir quel rapports nos contemporains, qu’ils soient Juifs ou non-juifs, qu’ils soient yiddishophones ou non, entretiennent avec cette langue. Quelle est l’image du yiddish dans notre monde, et quelles valeurs particulières le yiddish est porteur porte, s’il en est porteur.
Pour cela, j’ai le plaisir d’être entouré d’intervenants de plusieurs pays.
Nous écouterons tout d’abord Benny Mer, rédacteur en chef des pages “Culture et littérature” du quotidien Haaretz, rédacteur en chef de Davke, la revue en langue hébraïque consacrée à la culture yiddish diffusée par Beth Shalom Aleichem à Tel-Aviv, et traducteur du yiddish. Ensuite, nous entendrons Karolia Szymaniak, docteure en littérature de l’université Jagelone de Cracovie, enseignante de yiddish en Pologne et nouvellement entrée à l’Institut historique juif de Varsovie, nous parler de qui apprend le yiddish en Pologne de nos jours. Puis, Hayele Beer, professeur de yiddish au University College de Londres, s’interrogera sur la question de savoir si le yiddish est porteur de valeurs particulières. Et enfin, je reprendrai la parole pour évoquer quelques questions psychologiques concernant le rapport entre le yiddish et le monde contemporain.
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Allocution : ROZIER Gilles (Allocution) Gilles ROZIER – Allocution
Je souhaiterais aborder, un peu pêle-mêle, trois sujets :
1. L’importance symbolique que représente le yiddish pour de nombreux juifs dans le monde, en tant que langue fantôme ;
2. La question de la langue juive dans la population juive de nos jours ;
3. La question du rapport entre yiddish et homosexualité.
On a beaucoup parlé, dans ce colloque, de “yidish oyf yidish” à savoir comment un nombre somme toute restreint de personnes apprennent, parlent le yiddish, créent en yiddish. Mais peut-être peut-on se pencher sur un groupe beaucoup plus important de gens : ceux qui, quand vous prononcez le mot “yiddish”, vous répondent : “oh, je ne parle pas cette langue mais elle est si importante pour moi !” En effet, le yiddish, même quand il a disparu en tant que langue vivante, reste présent. C’est alors une langue fantôme, comme on parle de membre fantôme chez des personnes qui ont été amputées d’un membre.
La définition d’un membre fantôme est la suivante : “un membre amputé ou manquant, toujours relié au corps et interagissant avec d'autres parties du corps ». Ajoutons que la majorité des sensations générées par un membre fantôme sont douloureuses.
C’est bien de cela dont il s’agit : une langue devenue fantôme suite à une amputation, un traumatisme. Car le yiddish n’a pas disparu « normalement » de la vie des personnes qui en ressentent encore la présence. Bien entendu, le Génocide dont les Juifs d’Europe ont été les victimes il y a 70 ans est l’élément principal de ce traumatisme, mais on peut en citer d’autres : l’émigration, qui a amené les Juifs d’Europe orientale vers l’Europe occidentale, les Amérique, l’Australie, l’Afrique du sud ou la Palestine/Israël. Mais aussi, tout simplement, le traumatisme de ne pas parler la langue de ses ancêtres, quelle que soit la raison de cette amputation.
Il y a donc une sensation de perte, qui est génératrice de douleur, mais également la conviction que cette langue est toujours reliée à vous, et c’est là où la langue fantôme diverge du membre fantôme. Car il est possible de se réapproprier une langue, à condition que la pression sociale vous le permette, ou alors d’avoir la force de lutter contre cette pression.
Bien que nous ne disposions pas de chiffres très précis sur le sujet, avançons qu’une majorité de Juifs dans le monde, en tout cas une proportion importante, est issue de familles où on parlait le yiddish il y a deux ou trois générations, et dans une partie de ces populations, le yiddish est la langue fantôme. C’est de toute évidence dans ce « réservoir » que l’on puise l’essentiel du contingent des nouveaux étudiants de yiddish, à l’exception peut-être de l’Allemagne et de la Pologne où de nombreux non-juifs apprennent le yiddish. C’est la raison pour laquelle, si l’on compare la situation du yiddish à celle du judéo-espagnol, autre langue juive qui présente d’un point de vue sociologique avec le yiddish, la situation du yiddish à l’heure actuelle est beaucoup moins préoccupante que celle du judéo-espagnol. Avant la Seconde Guerre mondiale, le yiddish était la langue maternelle de 11 millions de Juifs, alors que le judéo-espagnol était parlé par une population qui n’excédait pas le million
d’individus. Et donc, le contingent des personnes pour lesquelles la langue fait office de langue fantôme est beaucoup plus important, dans un ra pport de 1 à 10 et donc le potentiel de réappropriation sensiblement de même rapport.
Un autre sujet que je souhaiterais aborder est la question de la relation du Juif à sa, ou à ses, langues. Dans la société juive traditionnelle, que ce soit dans les pays de tradition ashkénaze
ou sépharades, les Juifs ont maintenu presque toujours, jusqu’à la période moderne, un trilinguisme : une langue juive (selon le cas le yiddish, le judéo-espagnol, le judéo-arabe,
etc.), le judéo-araméen — le loshn koydesh — pour l’étude, la prière et le rituel domestique, et la langue des voisins non juifs (allemand, polonais, russe, grec, turc, arabe, etc.).
L’émancipation des Juifs dans les pays occidentaux est venue chambouler cet équilibre : le recours à une langue vernaculaire juive est tombé en désuétude, comme si, pour les
relations internes à la société juive, les Juifs pouvaient se passer d’une langue qui leur soit propre. Ce phénomène a été accentué par l’avènement de l’hébreu moderne au début du XXe siècle, encore plus depuis la création de l’État d’Israël : dans la seconde partie du XXe
siècle — et la situation reste sensiblement la même au XXIe siècle — il semble que la grande majorité des Juifs du monde considère que la seule langue juive d’avenir soit l’hébreu. Que si les Juifs devaient majoritairement user d’une langue juive, ce devrait être l’hébreu. Mais
toute la question réside dans le « si ». Car il s’agit d’un mirage plus que d’une réalité. Car si l’hébreu est devenu la langue juive la plus parlée dans le monde, c’est surtout le fait des habitants de l’État d’Israël ou des Israéliens installés à l’étranger. Même si la pratique de
l’hébreu s’est developpée parmi les Juifs de Diaspora, notamment par le fait de personnes ayant séjourné un temps en Israël pour s’installer ensuite dans un autre pays, la pratique de cette langue est loin de s’être généralisée en Diaspora, et on n’en constate que très peu la
transmission au sein de la famille. On est donc en présence d’un paradoxe : les Juifs ont une langue nationale, l’hébreu, mais une partie importante d’entre eux ne la parle pas. On est alors en présence d’un fantôme de langue et d’un fantasme de langue : le fantôme du
yiddish et le fantasme de l’hébreu. On constate depuis une quinzaine d’années, que la situation change : dans les années 1970 et 1980, les étudiants qui venaient apprendre le yiddish le faisaient souvent en opposition à l’hébreu, dans une opposition Diaspora/Israël ou
laïcité/religion, le yiddish étant censé représenter, dans le sillage du Bund et du communisme, une tradition juive diasporiste et laïque. Depuis les années 1990, il est de moins en moins rare que les nouveaux étudiants s’engagent en même temps dans
l’apprentissage du yiddish et de l’hébreu, tentant d’une seule soif de se réapproprier la langue fantôme et de refuser le fantasme d’une langue.
Enfin, le troisième point que je voulais aborder part d’une constatation : parmi les personnes qui ont appris ou apprennent le yiddish, et de manière sans doute encore plus prononcée parmi ceux qui sont parvenus à un haut niveau de connaissance de la langue et de la
littérature yiddish, figure un nombre important d’homosexuels, notamment des hommes. Y aurait-il une amitié particulière entre yiddish et homosexualité ? De toute évidence, il y en a
une, mais d’où celle-ci viendrait-elle ?
J’ose avancer deux hypothèses.
La première qui vient à l’esprit, mais je ne suis pas certain qu’elle me convainque totalement, est le fait que le yiddish soit désigné par le terme de « Mame-loshn », la langue mère, ou la langue de la mère. Dans une tentative de catégoriser les deux principales langues juives, on a pu décrire l’hébreu comme une langue virile, « une langue avec une armée et une flotte »pour paraphraser Max Weinreich, alors que le yiddish serait plus féminin, plus fragile (à condition de considérer que les femmes sont plus fragiles que les hommes). On constate souvent, parmi les homosexuels hommes, une forte proximité avec la mère. Donc, si l’on reporte ce schéma sur le plan linguistique : un homosexuel pourrait être davantage attiré par une « Mame-loshn » considérée comme féminine, maternelle.
Une autre hypothèse me convainc davantage. La plupart des homosexuels ont connu, un sentiment fort d’exil intérieur, déjà dans leur enfance mais surtout à l’adolescence. À l’heure ou la majorité de leurs camarades de même sexe s’éveillaient à la vie sexuelle et découvraient le désir licite pour le sexe opposé, eux se sentaient honteux, isolés dans leur attirance pour le même sexe, longtemps jugée contre-nature par la société. Ils ne pouvaient bien souvent même pas partager cet éveil de l’attirance sexuelle avec d’autres personnes dans le même cas, car bien souvent, ceux-ci la taisaient, mus par la même honte. Ce sentiment d’exil, d’appartenance à une minorité était d’autant plus fort qu’ils ne pouvaient le partager avec leurs parents, leurs frères et soeurs, leurs cousins. Quand on est Juif, on partage cette identité minoritaire avec sa famille. Quand on est Noir, il en est de même. Quand on est homosexuel, on ne peut le partager avec ses parents. Voire, ceux-ci sont souvent les premiers à être dérangés par cette identité qu’ils découvrent chez leur enfant, jusqu’à parfois la rejeter.
Il se peut donc que ce sentiment d’exil intérieur ait eu besoin, à un moment, de prendre corps dans l’adhésion à une culture d’exil, ou de se projeter dans une langue considérée comme honteuse ou en tout cas manifestement marginale. On retrouve la notion de la langue fantôme : apprendre le yiddish, vraiment l’apprendre au point de la maîtriser parfaitement et même de l’enseigner, de la traduire, permettrait à la fois de marquer par rapport à ses parents qui n’ont pas transmis le yiddish, mais malgré tout tisser un lien avec ses ancêtres, lien qu’il n’est pas possible de tisser à travers l’identité homosexuelle.
Si cette hypothèse est sérieuse, il est vraisemblable qu’avec l’acceptation de l’homosexualité comme identité minoritaire mais normale (comme le fait d’être gaucher par exemple), et non sa stigmatisation comme une déviance, phénomène auquel on assiste dans nos sociétés, ces affinités entre homosexuels et yiddish tendront à diminuer.
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  Helen BEER Helen BEER
Crédit Photo : Michel FINGERHUT




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 Karolina SZYMANIAK Karolina SZYMANIAK
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 MER Benny MER Benny
Crédit Photo : Michel FINGERHUT





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Séance de Clôture

Witold ZYSS Clôture par Witold Zyss, Représentant du B’nai B’rith International auprès de l’UNESCO
Crédit Photo : Michel FINGERHUT
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Yitzkhok NIBORSKI Yitzkhok NIBORSKI, maître de conférences à l’INALCO, vice-président de la Maison de la culture yiddish
Crédit Photo : Cyril Bailleul

   






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Concert de Clôture

Crédit photos : Michel FINGERHUT
  Concert de Clôture
Shura LIPOVSKY, Mendy CAHAN, Michael ALPERT et Gilles ROZIER
Credit photo : Michel FINGERHUT
Concert de Clôture
Alexandre MESSER, Yitskhok NIBORSKI, Shura LIPOVSKY, Mendy CAHAN et Michael ALPERT
Credit photo : Michel FINGERHUT
Concert de Clôture
Mendy CAHAN et Shura LIPOVSKY
Credit photo Michel FINGERHUT
 
  Concert de Clôture
Yitskhok NIBORSKI et Eric SLABIAK / Mendy CAHAN / Samuel STROUK
Credit photo Michel FINGERHUT
Concert de Clôture
Eric SLABIAK et Mendy CAHEN
Crédit photo : Michel FINGERHUT
Concert de Clôture
Eric SLABIAK
Crédit photo : Michel FINGERHUT
 
  Concert de Clôture
Mendy CAHAN / Alexandre MESSER, Yitskhok NIBORSKI, Shura LIPOVSKY, Eric SLABIAK / Mendy CAHAN et Michael ALPERT
Credit photo : Michel FINGERHUT
  Concert de Clôture
Mendy CAHEN
Crédit photo : Michel FINGERHUT
 
Concert de Clôture
Mendy CAHEN
Crédit photo : Michel FINGERHUT

Concert de Clôture
Mendy CAHAN / Alexandre MESSER, Yitskhok NIBORSKI, Shura LIPOVSKY, Eric SLABIAK / Mendy CAHAN et Michael ALPERT
Credit photo : Michel FINGERHUT
 
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Permanence du Yiddish - 2012-2016 / 5776